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Tobago, le va-et-vient entre empires coloniaux

  • Gelien Matthews History Department University of the West Indies, Jamaica

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L’île de Tobago se distingue dans l’histoire antillaise, comme un territoire que les colons européens ne cessèrent de se renvoyer, d’un empire d’outre-mer à un autre, au moins à 33 reprises, entre 1498 et 1814.

L’Espagne, le premier à prendre l’île entre les griffes de la gouvernance coloniale, y maintint son emprise ténue entre 1498 – quand Christophe Colomb l’aperçut pour la première fois, lors de son troisième voyage aux Indes, l’appelant « Assomption » – et à peu près 1627. Certains explorateurs du seizième siècle appelaient l’île par le nom de « Madalena ».

En 1596, Juan de Prado, agissant au nom de Don Francisco de Vides, gouverneur et capitaine général de la province de Cumana, au Venezuela, écrivit au roi d’Espagne, afin de lui exposer les grandes lignes de l’une des très rares intentions espagnoles de peupler l’île de « Tobaco », comme l’appelait de Prado. Cette intention ne donna rien. En 1614, Johannes Roderigo d’Espagne essaya, mais ne réussit pas à établir des relations commerciales entre les Espagnols et les habitants Kalinago de l’île.

Dès 1627, l’île de Tobago sortit presque imperceptiblement de l’empire colonial espagnol pour rejoindre l’empire d’outre-mer néerlandais. La première tentative néerlandaise de coloniser l’île, toutefois, entre 1627 et 1632, échoua misérablement. Les colons se regroupèrent dans le nord-ouest, près de la baie de Grand Courlande, et appelèrent leur colonie « le Nouveau Walcheren ». Le site fut ravagé par des attaques kalinagos et espagnoles, ainsi que par des maladies et par la famine. La deuxième phase de la colonisation néerlandaise de l’île de Tobago dura entre 1654 et 1678, et malgré le fait qu’elle fut ponctuée par des attaques kalinagos, britanniques et françaises, elle porta quelques fruits. Adriaen et Cornelius Lampsius, des commerçants fortunés, dirigèrent cette phase, en se concentrant sur la côte sud de l’île, dans une baie appelée la Baie de Roodklyp. Les frères Lampsius et le gouverneur, Hugh de Beveron, plantèrent à Tobago les graines de la société et de l’économie de plantation, coloniales, serviles, qui allaient devenir typiques aux Antilles. Ils connurent un contretemps en octobre 1665, quand des Anglais basés à la Jamaïque et à la Barbade, attaquèrent la Baie de Roodklyp. La colonisation néerlandaise de l’île de Tobago, fut, néanmoins, confirmée par le traité de Breda en 1667. Pieter Constant, le nouveau gouverneur, entreprit le processus de reconstruction. En 1670, les Kalinagos et puis les Anglais attaquèrent et détruisirent la colonie néerlandaise de Tobago. L’accord de paix de Westminster, signé en mai 1674, laissa l’île fermement entre les mains des Néerlandais. Les colons reconstruisirent pour la deuxième fois sur les ruines. Pourtant, deux grandes batailles avec les Français, en 1676 et 1678, finirent par libérer Tobago de l’emprise de la Hollande.

Entre 1639 et 1650, quand les Néerlandais furent inactifs à Tobago, les Courlandais (de la Lettonie actuelle) se bousculèrent pour s’emparer de l’île, devenant ainsi le troisième groupe de colons européens à le faire. Ils habitèrent l’ancienne colonie néerlandaise du Nouveau Walcheren et rebaptisèrent la zone la Baie de Jacobus, en l’honneur de leur duc. Les Courlandais essayèrent en 1639, 1642 et 1650 de peupler Tobago. Les deux premières tentatives se soldèrent par un échec retentissant, et par la mort de plusieurs colons. Dès 1650, ils réussirent à cultiver la canne à sucre et d’autres produits tropicaux, et, sous la direction de leur nouveau chef, Wilhelm Molleyns, ils construisirent le Fort Jacobus sur l’île. Vers la fin des années 1650, l’inclusion de l’île de Tobago dans l’entreprise coloniale des Courlandais tomba complètement à l’eau. En 1658 les Néerlandais prirent le contrôle du Fort Jacobus et en 1664 les Courlandais n’avaient entre les mains qu’un accord insignifiant sur papier disant que Charles II d’Angleterre avait cédé l’île au Duc de Courlande et à ses héritiers.

Suite à la défaite militaire infligée par les Français aux Néerlandais à Tobago, le traité de Nymwegen transféra ce pion insulaire pour une quatrième fois en 1678, vers une autre entité impérialiste, l’Empire français d’outre-mer. Des réclamations contestées par les Français et les Britanniques pour la propriété de l’île, conduisirent néanmoins les colons à s’entendre sur le fait qu’à partir de 1678, Tobago serait « neutre » et resterait un territoire kalinago pacifique. Le traité d’Aix-la-Chapelle formalisa ces dispositions en 1748. En 1781, les britanniques rompirent la neutralité de Tobago et habitèrent l’île. En 1781 cependant, les Français réussirent leur tentative militaire de reprendre l’île et appliquèrent le traité de Versailles de 1783, qui offrit Tobago pour une deuxième fois aux Français. Ces derniers habitèrent l’île pendant dix ans, mais en 1793, les Britanniques lancèrent une offensive, interrompant ainsi l’administration française de Tobago jusqu’en 1802, quand le traité d’Amiens restaura l’île parmi les possessions coloniales françaises.

L’ajustement de 1802 échoua néanmoins, et un an plus tard, les Français présents à Tobago capitulèrent devant la puissance militaire des Britanniques. Les Britanniques furent les derniers colonisateurs de l’île de Tobago. Malgré ses nombreuses tentatives d’incorporer l’île dans son empire relativement importante, ce n’est qu’à la signature du traité de Paris, en 1763, que le droit d’inclure Tobago dans son ensemble colonial fut officiellement accordé à la Grande-Bretagne. Cependant, après dix-huit ans de domination coloniale, au cours desquelles les Britanniques y avaient transplanté leurs modèles politiques et économiques, les Français se saisirent de l’île et la détinrent pendant une dizaine d’années. Les Britanniques se vengèrent en 1803. Enfin, en 1814, par le biais d’un deuxième traité de Paris et après environs 300 ans de va-et-vient entre les différents empires coloniaux européens, Tobago fut bien ancré parmi les possessions caribéennes britanniques, où elle demeura jusqu’à l’indépendance en 1962, quand elle est devenue une partie de la nation de Trinité-et-Tobago.

Catégorie : Vagues de colonisation

Pour citer l'article : Matthews, G. (2013). "Tobago, le va-et-vient entre empires coloniaux" in Cruse & Rhiney (Eds.), Caribbean Atlas, http://www.caribbean-atlas.com/fr/thematiques/vagues-de-colonisation-et-de-controle-de-la-caraibe/vagues-de-colonisation/tobago-le-va-et-vient-entre-empires-coloniaux.html.

Références

Douglas A. (1987) ; Tobago Melancholy Isle, Vol. One 1498 – 1771 ; Port-of-Spain, Trinidad: Westindiana, Ltd

Douglas A. (1995) ; Tobago Melancholy Isle Vol. Two 1770 – 1814 ; Port-of-Spain, Trinidad: Westindiana, Ltd

Laurence K.O. (1995) ; Tobago in wartime 1793-1815 ; Kingston, Jamaica, The University of the West Indies Press Ramerini M. ; Dutch and Courlanders in Tobago A History of the First Settlements, 1628 – 1677 dans www.colonialvoyage.com/tobago visité le 11 février, 2011

Williams E. (1962) ; History of the People of Trinidad and Tobago ; London:   André Deutsch