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Les récifs coralliens de la Martinique et de la Guadeloupe : entre appréhension des processus de dégradations et modalités de conservation

  • Pascal Saffache MCF - HDR - Université des Antilles et de la Guyane

Situés au centre de l’arc des Petites Antilles, l’île de la Martinique et l’archipel Guadeloupéen présentent des caractéristiques géologiques variées – volcaniques et calcaires – mais sont tous deux circonscrits en mer par des récifs frangeants(1) et des récifs-barrières(2). Si ces formations récifales participent à leur richesse paysagère et sous-tendent leur forte activité balnéaire, des travaux scientifiques récents soulignent également leur forte dégradation (IFRECOR, 1999 ; Saffache, 2002) ; celle-ci résulterait de facteurs anthropiques.

En réalité, les pressions naturelles participent tout autant à la dégradation des coraux : en phase cyclonique, les houles arrachent et arasent les platures coralliennes (particulièrement les espèces branchues), les fortes pluies entraînent une chute de la salinité de l’eau de mer (dessalure) défavorable à leur croissance, l’arrivée massive de sédiments terrigènes asphyxie les colonies qui disparaissent alors progressivement. De façon plus générale, l’augmentation de la teneur en gaz carbonique dans l’atmosphère et l’élévation progressive du niveau de la mer (résultant d’une augmentation de la température globale) sont autant de facteurs qui participent durablement à la dégradation puis à la disparition des formations coralliennes (SCOR, 1998).En raison de l’importance paysagère et économique de ces formations, il convient de présenter l’ensemble des facteurs anthropiques qui accentuent l’impact des pressions naturelles. Les décideurs seront ainsi informés et pourront alors prendre les mesures qui s’imposent pour infléchir cette tendance.

Les facteurs de dégradation

Les activités agricoles

La Martinique et la Guadeloupe ont souvent été présentées comme des terres sucrières ; si cette activité (la culture de la canne à sucre) a mobilisé des centaines de milliers d’esclaves durant trois siècles, elle s’est aussi matérialisée par une déforestation importante(3). Du rivage au sommet des mornes, les terres ont été totalement dénudées ; ainsi, lors des travaux de plantation ou de récolte, le sol n’étant que partiellement protégé de l’énergie cinétique des gouttes de pluie, l’érosion s’est alors développée en acheminant de grandes quantités de sédiments terrigènes dans les baies et les lagons. Cette hypersédimentation – à l’origine de la nécrose des platures coralliennes – est visible sur certaines cartes topographiques du XVIIIe siècle : 1758 et 1764 par exemple. 

Aujourd’hui, bien que l’hypersédimentation des baies se soit accentuée (Saffache et al., 1999 ; Saffache, 2000), c’est surtout l’influence des produits phytosanitaires qu’il convient d’apprécier. D’après le bureau d’études SIEE (1998), ce serait 250 à 600 tonnes de matières azotées – épandues dans les bananeraies et les champs de canne à sucre – qui seraient entraînées chaque année par les eaux de ruissellement dans les baies et les culs-de-sac marins. Cet enrichissement anthropique de l’eau de mer, favoriserait la prolifération d’algues (Sargassum, Turbinari, Dictyota) qui se développeraient au détriment des coraux. En réalité, les algues ne cessent de s’étendre, car à la différence des coraux elles résistent aux assauts des houles cycloniques et conquièrent jour après jour de nouveaux espaces.

En Martinique et en Guadeloupe, ce sont approximativement les mêmes quantités de produits phytosanitaires qui sont importées chaque année : 2 800 tonnes environ. Quand on sait que seuls 20 % de ces produits atteignent réellement leur cible (Diren, 1999), il importe de savoir où s’accumulent les 80 % restants. Une étude réalisée pour le Ministère de l’Environnement (Durand et al., 2000) souligne la présence de produits organochlorés dans les huîtres de palétuviers, dans les holothuries et dans les chairs de certains poissons ; les doses mesurées dépasseraient les seuils de toxicité traditionnellement admis. Les élevages clandestins (porcins) en bordure de rivière, sont autant de facteurs supplémentaires qui accentuent l’eutrophisation du milieu ; chaque année ce serait 3 000 tonnes d’azote et 2 300 tonnes de phosphore (SIEE, 1998) qui seraient ainsi libérées dans la nature. A cela s’ajoutent les matières en suspension des sucreries et les eaux vannes des particuliers.

Les influences industrielles et urbaines

Si la culture de la canne nécessite l’emploi de produits phytosanitaires, sa transformation en sucre sous-tend la production de résidus liquides très polluants (les vinasses sont très acides et riches en matières en suspension). En Guadeloupe et particulièrement à Marie-Galante, ces effluents sont évacués par le biais de canaux qui débouchent directement en mer ; pendant les 100 à 150 jours que dure la « campagne sucrière », la Direction de l’Environnement a estimé que ces rejets équivalaient à ceux d’une population de 177 000 âmes. En Martinique, ce type de pollution est moins chronique, car sur les neuf distilleries en activité, quatre sont équipées de séparateurs de fond de cuve et trois de dispositifs de lagunage. Ces dispositifs permettent de réduire d’un tiers environ les charges acides et de matières en suspension. S’il ne s’agit que d’une réduction modeste, force est de constater que des efforts sont réalisés en faveur du milieu. Cela ne veut nullement dire que des rejets directs (dans la nature) ne sont pas effectués de temps à autre.

En dépit des efforts consentis par de nombreuses municipalités pour raccorder leurs administrés au réseau de tout-à-l’égout ou à des stations d’épuration, la situation est loin d’être optimale. En 2000, s’il y avait 20 stations d’épuration collectives communales en fonctionnement sur le territoire guadeloupéen, l’orographie tourmentée et le mitage de l’espace étaient à l’origine du non-raccordement de nombreuses habitations à un réseau de collecte ; les eaux vannes de ces populations étaient donc rejetées dans la nature.En Martinique, le réseau de collecte des eaux usées est insuffisant car seules 47 % des communes y sont raccordées (SIEE, 1998). A titre d’exemple, les cinq communes qui enserrent la baie de Fort-De-France totalisent près de 180 000 habitants, alors que les dix stations d’épuration actuellement en service sont prévues pour un peu plus de 130 000 habitants. Certains quartiers ne sont donc pas raccordés au réseau de collecte des eaux usées et de nombreuses maisons individuelles ne disposent pas de fosses septiques ; des effluents usagés sont donc déversés dans les rivières via la baie de Fort-De-France. Ces eaux polluées favorisent la prolifération d’algues filamenteuses qui étouffent progressivement les coraux. A cela s’ajoute l’influence des décharges communales, situées en bordure littorale, dont les lixiviats alimentent régulièrement les baies en produits toxiques (métaux lourds, etc.). Les fortes teneurs en métaux lourds mesurées dans certains secteurs pourraient s’expliquer ainsi. Elles pourraient aussi s’expliquer par les rejets directs d’huiles de vidange et de toutes sortes d’effluents dont les riverains préfèrent se débarrasser discrètement. A titre d’exemple, dans les sédiments qui jouxtent l’embouchure de la rivière Madame (commune de Fort-de-France), les teneurs en plomb sont 20 fois plus importantes que celles qui devraient résulter de la décomposition des altérites naturelles (Durand et al., 2002). Les teneurs en zinc et en cuivre, sont elles aussi largement supérieures à ce qu’elles auraient dû être ; l’origine anthropique de ces métaux lourds semble donc confirmée.

Les dragages et les remblais

En Guadeloupe, si les dragages maritimes ne peuvent en aucune façon être comparés à ceux pratiqués en Polynésie, ils demeurent néanmoins nocifs. Les autorités ont tout de même réussi à pondéré leur impact en les localisant en milieu ouvert à plusieurs kilomètres des côtes. Seuls trois sites sont aujourd’hui en activité : celui de Petit Havre (au sud de la grande Terre), de l’îlet Kahouanne (au nord de la Basse-Terre) et de la Baie de la Potence à Saint-Martin. Un quatrième site avait été autorisé dans le Grand Cul-de-Sac Marin, mais il a dû être fermé en raison des dégradations qu’il occasionnait aux colonies coralliennes.

En Martinique, la multiplicité des constructions côtières (zones artisanales et industrielles, marinas, routes, hôtels, etc.) est à l’origine d’une fossilisation des récifs frangeants. Pour ne prendre qu’un exemple, lors de la construction de la route nationale n° 5 au niveau de la commune du Marin, les déblais ont été déversés dans la baie. Ils ont donc amplifié l’hypersédimentation naturelle et fossilisent maintenant de vastes platures.

Les activités de loisir

Les activités de loisirs sont elles aussi très nocives ; en Guadeloupe, la plongée sous-marine est très prisée puisqu’en 2000, 80 000 sorties ont été effectuées sur ou à proximité de fonds coralliens. Les plongeurs les moins expérimentés cassent ou fragilisent les gorgones, les coraux et parfois même les éponges par leurs coups de palmes approximatifs. Si la plaisance est en plein essor en Martinique – et nul ne peut s’en plaindre car cela a des répercussions positives sur l’activité économique (vente et entretien des bateaux de plaisance, etc.) – cette activité a cependant des conséquences nocives sur le milieu. Lorsque des bateaux mouillent sur des platures coralliennes, leurs ancres et leurs chaînes dégradent durablement les fonds marins, puisqu’elles cisaillent les coraux et arrachent les éponges. Quand on connaît le rythme de croissance d’une plature corallienne (1 à 8 mm/an), le moindre fragment cisaillé représente une perte de plusieurs décennies de bio-construction. Il importe donc de dénoncer ces pratiques et de tenter d’y remédier au plus vite, car à proximité des îlets du Robert et du François – sites très fréquentés par les plaisanciers – les fonds marins sont régulièrement lacérés par des griffures d’érosion d’origine anthropique. Nombre de platures coralliennes présentent maintenant un aspect prostré, car leurs édifices, jadis turgescents, ont été systématiquement brisés ou cisaillés par les chaînes et les ancres des bateaux. Cette dégradation accentue encore un plus le repli des écosystèmes coralliens. Face à l’ampleur de ces dégradations, des solutions devraient être trouvées rapidement.

Des mesures de conservation

S’il n’existe pas de réserve naturelle marine en Martinique, six secteurs sont cependant protégés : les baies du Trésor et du Robert, l’îlet à Ramiers ainsi que certaines portions des communes littorales de Sainte-Luce, de Trinité / Sainte-Marie et des Anses d’Arlets (Petite-Anse). Sur ces sites, la pêche est interdite pour des périodes oscillant de trois à cinq ans et la navigation est réglementée. Dans la baie du Trésor, par exemple, la circulation des bateaux n’est autorisée que dans la portion nord (au cours de la journée uniquement) et leur vitesse est limitée à 3 nœuds ; parallèlement, la pratique des sports nautiques est bannie. A Sainte-Luce, le mouillage des navires est interdit sauf s’il se fait sur les bouées prévues à cet effet. En Guadeloupe, les mesures de conservation sont plus importantes, puisqu’il existe plusieurs réserves naturelles marines. La plus importante, celle du Grand Cul-de-Sac Marin, a été créée en 1987 et s’étend sur 3 800 ha ; depuis 1993, elle est classée par la convention de RAMSAR en zone humide d’importance internationale et jouit aussi du statut de Réserve de Biosphère. Dans cette logique, fut créée le 10 octobre 1996 à Saint-Barthélemy une réserve naturelle d’une superficie de 1 200 hectares environ ; celle-ci fut suivie en septembre 1998, de la réserve des îles de Petite Terre et de celle de Saint-Martin. Dans tous les cas, l’objectif est de préserver les trois écosystèmes côtiers en danger : les récifs coralliens, les herbiers et la mangrove. Dans les deux îles, cette politique de conservation a été renforcée par les acquisitions du Conservatoire du Littoral ; en Guadeloupe, 9 sites ont été acquis(5) contre 11 en Martinique(6). A ces mesures de conservation se sont surimposées des mesures de lutte contre l’érosion et la pollution par exemple.S’il n’existe pas de mesures de lutte spécifiques contre l’érosion en Guadeloupe, en Martinique le programme agri-environnemental – piloté par la Direction Départementale de l’Agriculture et de la Forêt (DDAF) – sous-tend la mise en place de jachères ou encore de bandes enherbées entre les cultures, dans le but de freiner l’eau de ruissellement, l’érosion et par extension l’hypersédimentation des baies. De même, dans le cadre de la mise en place du SDAGE3, le Conseil Régional de la Martinique, la DDAF et la DIREN, imposent aux communes la collecte et le traitement des eaux usées conformément aux règlements européens ; des progrès notables ont ainsi été réalisés. En Guadeloupe, en dépit des orientations du SDAGE, plus de la moitié des stations de traitement des eaux usées ne répondent toujours pas aux normes en vigueur.

S’il faut reconnaître que des efforts ont été faits pour la sauvegarde du milieu, il reste encore beaucoup à faire et particulièrement en matière d’information et d’éducation ; pourtant chaque semaine, des magazines télévisés sensibilisent les populations ainsi que les municipalités aux efforts qu’elles devraient engager pour rendre leur territoire plus agréable mais surtout pour protéger leur patrimoine maritime. En réalité, s’il n’existe pas de solutions miracles, tous les moyens doivent être employés pour tenter de protéger durablement les récifs coralliens et plus généralement les écosystèmes qui leurs sont associés. En milieu insulaire, la préservation de l’espace maritime devrait être une priorité.


Notes :

1. Construction corallienne accolée à la côte.

2. Construction corallienne entourant une terre émergée dont elle est séparée par un lagon.

3. Extrait de l’ouvrage de Thibault de Chanvallon « Voyage à la Martinique », 1763.  « On a défriché les bois de tous les côtés, on en a fait des plantations (...) auffi en avan qu’on l’a pu & fur les montagnes même ». 

4. La Pointe des Châteaux, les Monts Caraïbes, la Pointe à Bacchus, le grand îlet des Saintes, Petite Terre, l’îlet Kahouanne, Belle plaine, le Marais nord de Port-Louis et Saragot.

5. La Caravelle, Pointe Rouge, l’Habitation Blin,  le Morne Larcher, le cap Salomon, Fond Moulin, Macabou, le Morne Aca, la Pointe Borgnèse et l’anse Couleuvre.

6. Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux.


Catégorie : Géographie Physique et ressources naturelles

Pour citer l'article : Saffache, P., (2014). "Les récifs coralliens de la Martinique et de la Guadeloupe : entre appréhension des processus de dégradations et modalités de conservation" in Cruse & Rhiney (Eds.), Caribbean Atlas, http://www.caribbean-atlas.com/fr/thematiques/geographie-physique-et-ressources-naturelles/les-recifs-coralliens-de-la-martinique-et-de-la-guadeloupe-entre-apprehension-des-processus-de-degradations-et-modalites-de-conservation.html.

Références

- Direction Régionale de l’Environnement de la Martinique, Comité de Bassin. 1999. Le SDAGE de la région Martinique : réunion de sensibilisation secteur nord Atlantique. Fort-de-France : S.N., 48 p.

- Durand G., Saffache P., Caubel V. et al., 2002. Etat des lieux – Diagnostic préalable à l’étude d’un contrat de baie de Fort-De-France. Rapport commandé par le Ministère de l’Environnement et de l’Aménagement du Territoire, multigr., 153 p.

- IFRECOR. 1999. L’état des récifs coralliens en France Outre-Mer. Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, Polynésie Française, Clipperton, Guadeloupe, Martinique, Mayotte, La Réunion, Iles Éparses de l’Océan Indien. S.L. : Ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement, Secrétariat d’État à l’Outre-Mer, 136 p.

- Saffache P., Blanchart E., Hartmann C., Albrecht A. 1999. L’avancée du trait de côte de la baie du Marin (Martinique) : conséquence de l’activité anthropique sur les bassins-versants alentour, Comptes Rendus de l’Académie des Sciences, Série II-a, Tome 328, n° 11, p. 739-744.

- Saffache P. 2000. Un engraissement côtier résultant de l’érosion des bassins-versants cultivés : exemple de la baie du Galion à la Martinique, Oceanologica Acta, Volume 23, 2, p. 159-166.

- Saffache P. 2002. Martinique et Guadeloupe : sanctuaires coralliens ou cimetières sous-marins ? Aménagement et Nature, 143-144, p. 77-82.

- Saffache P. 2003. Dictionnaire de géographie de la mer et des littoraux. Matoury : Ibis Rouge Editions, Presses Universitaires Créoles, Collection Documents Pédagogiques – Géographie, 101 p.

- SCOR, 1998. Coral reefs and global change : adaptation, acclimatation or extinction ? Initial report of a symposium and workshop, Boston.

- SIEE. 1998. Synthèse de la qualité des eaux et des milieux aquatiques de la Martinique. S.L. : S.N., (plusieurs rapports).