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La géologie des îles de la Caraïbe et son influence sur les sociétés humaines

  • Romain Cruse Université des Antilles et de la Guyane

Plaques tectoniques

Ce bref article a pour but de décrire simplement la géologie des îles caribéennes. Sans tomber dans le déterminisme naturel qui a longtemps prévalu en Géographie, nous présenterons dans une seconde partie l’influence qu’a pu avoir cette géologie particulière sur l’histoire, la géographie et l’économie de ces îles notamment.

La formation des îles caribéennes.

Trois grands types de formations rocheuses affleurent à la surface de la Terre : les roches sédimentaires (exemple : le calcaire), les roches magmatiques (ou ignées, exemple : le basalte) et les roches métamorphiques (exemple : le marbre). Les roches sédimentaires sont le résultat d’une accumulation de particules fines compactées (les sédiments). Les roches magmatiques sont formées par le refroidissement du magma des volcans. Les roches métamorphiques sont issues de la transformation des deux premières (cristallisation ou re-cristallisation), dans les profondeurs de la Terre, sous l’action de la chaleur et/ou de la pression notamment (IMAGE). De manière logique, les roches sédimentaires sont dominantes au niveau de la surface de la Terre (elles affleurent), les roches volcaniques sont omniprésentes juste au-dessous, dans la croûte terrestre, et les roches magmatiques se retrouvent avant tout dans les plus grandes profondeurs. Cependant le volcanisme et surtout la tectonique peuvent parfois bouleverser cet ordre et faire affleurer des roches métamorphiques (qui sont alors soumises à l’érosion et se désagrègent en sédiments) ; où à l’inverse, enfouir dans les profondeurs des roches sédimentaires, par exemple. Dans ce second cas de figure, par exemple, une roche calcaire se transformera en marbre sous l’effet de la pression et de la chaleur. 

Durant l’histoire géologique de la région antillaise, des volcans ont tout d’abord émergé du fond de l’Océan à proximité de la bordure de la plaque caribéenne : volcans d’Amérique Centrale à l’Ouest, volcans des Grandes Antilles au Nord, Volcans des Petites Antilles à l’Est, et volcans des îles hollandaises et vénézuéliennes au Sud. On observera sur la carte que la plaque caribéenne est séparée de la plaque nord-américaine par la microplaque des Gonaves, qui se situe exactement entre le nord de la Jamaïque et le sud de Cuba, et qui se prolonge pour couper Haïti au niveau de sa capitale (d’où la séismicité de cette zone) (IMAGE). Cuba et les Bahamas se trouvent ainsi en réalité sur la plaque nord-américaine. Le niveau de la mer a ensuite varié, sur des périodes de millions d’années (eustatisme). Lorsque le niveau monte et que le volcan émergé, ou une partie de son relief, se retrouve à quelques mètres sous le niveau de la mer, le corail s’y développe. Lorsque le niveau de la mer diminue ensuite (ou alors lorsque la tectonique « pousse » le relief vers le haut), la couche de corail affleure, au-dessus de la roche volcanique. Cette couche de corail se transforme alors progressivement en roche sédimentaire calcaire. La roche volcanique formait un relief pointu (globalement triangulaire, avec une forte verticalité). Au contraire, la roche sédimentaire formée se caractérise par son horizontalité, déterminée par le niveau de la mer lors de l’immersion (le corail se développe uniquement dans la couche d’eau de surface, et pas après 30 mètres de profondeur).  

Ainsi, à quelques exceptions près et en simplifiant au maximum, les îles caribéennes peuvent être décrites comme des volcans émergés plus ou moins recouverts de roches sédimentaires calcaires. Si l’on voulait dresser une typologie des îles, ce classement montrerait donc un dégradé partant des îles les plus récentes à dominante volcanique (Dominique, Saint Vincent) jusqu’aux îles plus anciennes à dominante calcaire (Antigua et Barbuda, Anguilla). Au centre, on retrouverait les îles doubles qui comportent à la fois une partie à dominante volcanique et une partie à dominante calcaire. La Guadeloupe en est l’archétype avec une île volcanique jeune (la Basse Terre), accolée à une île à dominante calcaire plus ancienne (la Grande Terre). La Basse Terre appartient à l’arc des îles volcaniques récentes des Petites Antilles (à dominante volcanique), qui s’étend de Saba et Saint Kitts, au Nord, jusqu’à Grenade, au Sud. La Grande Terre, par contre, se rattache à un second arc d’îles volcaniques anciennes, recouvertes de calcaire selon les modalités expliquées plus haut, et qui s’étend de Saint-Martin au Nord jusqu’à la Grande Terre et à la Désirade (IMAGE). De manière générale les îles des Grandes Antilles (Jamaïque, Hispaniola, Cuba, Porto Rico) sont les plus complexes, avec la présence, côte à côte, de régions à dominance volcanique et sédimentaire, le tout ayant été souvent fracturé et basculé par la tectonique. Les îles du sud du bassin caribéen (Aruba, Bonaire, Curacao et les îles vénézuéliennes) sont généralement des îles de volcanisme ancien à dominance calcaire (comme les îles de l’arc allant de Saint-Martin à la Désirade, évoquées plus haut).

Il existe deux exceptions notables à ce modèle général : la Barbade et les Bahamas. La Barbade est une île exclusivement sédimentaire formée par un prisme d’accrétion. Ce phénomène très rare (deux îles au monde : la Barbade et Taïwan) est lié à une accumulation de sédiments qui finit par émerger du fond de l’Océan en  raison de conditions locales particulières (relief sous-marin, courants). Les îles des Bahamas, enfin, représentent la partie émergée d’un vaste plateau calcaire (la plate-forme des Bahamas) situé en dehors de toute zone sismique et volcanique. Trinidad est aussi un cas particulier, car une partie de l’île était autrefois rattachée au continent sud-américain. 

En bref, si l’on voulait dresser un schéma simplifié, la Caraïbe se compose d’îles calcaires (Bahamas, Barbade), d’îles volcaniques anciennes recouvertes de calcaire (l’arc Saint-Martin-La Désirade, les îles du sud des Antilles, les Îles Cayman), d’îles volcaniques récentes (l’arc qui s’étend de Saba à Grenade en passant par la Dominique, la Martinique, Sainte Lucie et Saint Vincent notamment), et d’îles mixtes (la Guadeloupe et les Grandes Antilles).  

De la formation des reliefs aux sociétés humaines

Ces distinctions sont d’une grande importance pour les sociétés humaines qui habitent ces îles. Une île volcanique comme Saint Vincent a par exemple un relief très marqué et ne peut accueillir de villes et d’activités humaines que sur ses rares replats, principalement sur la mince bande littorale et dans les vallées. À l’inverse une île calcaire comme la Barbade est plane et peut accueillir un peuplement et une répartition des activités beaucoup plus diffus. L’organisation de l’espace est ainsi très différente, même si des héritages communs engendrent des ressemblances (l’attractivité du littoral et de la ville-port notamment).

La formation géologique de l’île a une influence directe sur son relief. La Barbade, calcaire, est une île plate qui culmine à 340 mètres, tandis que la Dominique, île volcanique et montagneuse, compte des reliefs dépassant les 1 400 mètres. Face aux Alizés, qui poussent les masses nuageuses sur l’Océan Atlantique d’est en ouest, ces reliefs n’ont pas les mêmes conséquences. Les reliefs hauts des îles volcaniques « accrochent » plus facilement les précipitations dites « orographiques ». La masse nuageuse stable poussée par le vent à basse altitude au-dessus de l’Océan est forcée à monter en altitude par la présence du relief volcanique. Alors que l’altitude augmente la masse nuageuse qui se refroidit et se condense devient plus instable et les précipitations finissent par se déclencher. On dit alors de manière imagée que le relief « crève » le nuage, c’est l’effet de foehn. Toutes choses égales par ailleurs, une île volcanique est ainsi plus arrosée qu’une île calcaire. La Barbade compte moins de dix cours d’eau, alors qu’on appelle la Dominique l’« île aux 365 rivières ». Par ailleurs, le substrat volcanique favorise la récupération des eaux de pluie, alors que la roche calcaire, poreuse et fissurée, accompagne rapidement l’écoulement à des profondeurs inaccessibles. Par conséquent l’île calcaire (ou la partie calcaire d’une île) sera favorable au tourisme de masse en raison de l'héliotropisme – l'attraction par le soleil –, car il y pleut moins souvent et l'ensoleillement y est plus fort. On ajoutera à cela que le calcaire participe à alimenter les anses sablonneuses en sédiments biogéniques (sable blanc), tandis que la roche volcanique produit des plages de sable noir, répulsives pour ce tourisme de masse. L'île  volcanique est par contre plus propice à l'agriculture : ses vallées sont fertiles, son relief est arrosé et les eaux pluviales s'écoulent en surface. Cependant un volcanisme  excessif peut être nuisible : l'île de la Dominique se compose d'un assemblage de plus d'une dizaine de volcans  relativement récents (dont certains sont actifs) ce qui donne  à l'île  un  relief bien trop marqué pour pouvoir y développer l'agriculture à grande échelle. C'est ce qui  explique que l'île ait été très tardivement colonisée par les Européens, qu'un nombre réduit d'esclaves y  ait été amené, et que le marronage et la résistance des derniers Amérindiens kalinagos aient pu y fleurir.

Il  faut noter, lorsque l'on aborde le thème du relief, que la majeure partie du relief volcanique caribéen est en réalité immergée. Entre la Jamaïque, qui culmine à 2256 mètres dans les Montagnes Bleues, et la partie orientale de Cuba, qui culmine à 2005 mètres au Pico Turquino, la fosse des Îles Cayman atteint plus de  7680 mètres sous le niveau de la mer. Dans cet exemple, le relief sous-marin représente 78 % du relief total. De même la Dominique, qui culmine à 1447 m (Morne Diablotin), est séparée de l’île vénézuélienne de Aves (375 mètres de long et moins de 50 mètres de large, 4 mètres d’altitude maximale par mer calme), isolée 500 kilomètres plus à l’Ouest, par une fosse profonde de 3 000 mètres. Le plus haut relief positif de la Grande Caraïbe se trouve  au Guatemala, au  mont Tajumulco (4 220 mètres). Le relief sous-marin le plus marqué se trouve au large de Porto Rico, dans une fosse sous-marine dépassant les 9 000 mètres. À l'inverse, dans le cas du plateau calcaire des Bahamas, la profondeur de l'eau ne  dépasse pas les 200 mètres, entre les plus de 700 îles, îlots et cayes que compte l'archipel. Ces eaux chaudes et claires sont très favorables au développement de la vie sous-marine. Les Bahamas cumulent les atouts d'attractivité pour le  tourisme de masse : îles calcaires ensoleillées, eaux peu profondes favorables au tourisme (observation des récifs, des poissons et des requins), et proximité avec le premier marché au monde : les États-Unis.   

La géologie a aussi une influence sur l'exposition aux risques naturels (IMAGE). Les îles volcaniques sont ainsi par définition exposées au risque d'éruption. Les volcans se forment à la limite des plaques tectoniques, dans des régions fortement sismiques. Les îles volcaniques sont donc aussi exposées aux risques sismiques. Ce risque est particulièrement fort le long de la côte  Pacifique de l'Amérique Centrale, dans  le sud-est de Cuba et dans  l'est de la Jamaïque, dans  la région de Port-au-Prince en Haïti, en République dominicaine, à Porto-Rico et dans tout l'arc des Petites Antilles. Considérant que la majorité des Caribéens vivent dans les zones basses littorales, au risque sismique correspond aussi à un fort risque de tsunami. Les espaces littoraux densément peuplés sont aussi très vulnérables aux cyclones tropicaux, qui touchent la région de manière récurrente entre le mois d'août et le mois d'octobre. On notera que la vulnérabilité aux risques naturels est tout aussi liée à l'organisation des sociétés humaines (système politique, niveau de vie, éducation, etc.).

Ainsi la géologie des îles est importante, mais pas déterminante.  Elle est importante,  car elle exerce une influence directe sur différents facteurs liés, tels que l'ensoleillement et la pluviosité, et peut exercer une influence indirecte jusque sur l'économie et l'histoire. Cette  influence n'est pas déterminante, car les sociétés humaines organisent des systèmes politiques et économiques qui peuvent permettre de tirer avantage des conditions les plus ingrates, ou au contraire de gâcher complètement des espaces propices. C'est ainsi que les pays avantagés par la géologie en terme de ressources naturelles (bauxite de la Jamaïque et du Suriname, or des Guyanes, etc.) sont connus pour le « paradoxe de l'abondance » : beaucoup de richesses naturelles, mais un effet d’entraînement sur l'économie locale très faible du fait de la captation de ces richesses par des entreprises étrangères. 





Catégorie : Géographie Physique et ressources naturelles

Pour citer l'article : Cruse, R., (2014). "La géologie des îles de la Caraïbe et son influence sur les sociétés humaines" in Cruse & Rhiney (Eds.), Caribbean Atlas, http://www.caribbean-atlas.com/fr/thematiques/geographie-physique-et-ressources-naturelles/la-geologie-des-iles-de-la-caraibe-et-son-influence-sur-les-societes-humaines.html.

Références

Bourque, P.-A., 2010. Planète  terre, Cours d'introduction et de culture scientifique en sciences de la terre, Université de Laval, http://www2.ggl.ulaval.ca/personnel/bourque/intro.pt/planete_terre.html

Donovan, S., et Jackson, K., (Eds.), 1994. Caribbean Geology, an introduction, Kingston, The University of the West Indies Publishers Association, 293p.

Jackson, T. (Ed.), 2002. Caribbean Geology into the Third Millenium, Transactions of the 1(th Caribbean Geological Conference, Jamaica, Pear Tree Press.