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La vie d'un planteur du Suriname

  • John Gabriel Stedman

Tiré de Narrative of a Five Years Expedition against the Revolted Negroes of Surinam (Récit des cinq années d’expédition contre les nègres révoltés du Surinam) de John Gabriel Stedman. Récemment transcrit à partir du manuscrit original de 1790, édité et avec introduction et notes par Richard et Sally Price. Baltimore: Johns Hopkins University Press. 1988, pp. 363-366. (2e édition, iUniverse, 2010). Présenté ici avec l'aimable autorisation de Richard Price. 

John Gabriel Stedman (1744-1797), soldat écossais et aventurier, se battit contre les esclaves rebelles au Suriname, eut une relation amoureuse avec l’esclave Joanna et fut l’auteur d’un des livres les plus importants jamais rédigé à propos d’une société esclavagiste. Un récit de première main d’une société esclavagiste du dix-huitième siècle, incluant des gravures, à la fois du monde des maîtres et des esclaves, contenant aussi des représentations des plantes et animaux exotiques, des campagnes militaires, et des aventures romantiques de l'auteur. Illustré par William Blake, Francesco Bartolozzi, et d’autres graveurs célèbres, le travail de Stedman, tout d’abord publié en 1796 avec de nombreux changements éditoriaux, fut rapidement traduit en une demi-douzaine de langues et publié en plus de vingt-cinq éditions. Il fut utilisé abondamment dans la lutte pour abolir le commerce des esclaves et l’esclavage. En 1988, Richard et Sally Price publièrent une édition critique du manuscrit du « Récit » de Stedman de 1790 récemment découvert, livre jamais publié auparavant que Stedman avait réellement écrit lui-même. Une deuxième édition de ce livre est désormais disponible chez iUniverse.


Un Planteur au Surinam lorsqu’il vit sur sa propriété, ce qui est plutôt rare- ces gens-là préfèrent la société de Paramaribo- sort de son hamac au soleil levant, c’est-à-dire à environ 6 heures du matin, lorsqu’il fait son apparition sous la véranda de sa maison, où son café l’attend- il le déguste en général avec sa pipe et non pas avec une tartine beurrée- et où il est assisté par une demi-douzaine d’esclaves les plus raffinés de la plantation - à la fois hommes et femmes- afin de le servir. Dans ce Sanctum Sanctorum, il est ensuite accosté par son contremaître qui assiste à son lever chaque matin, et après avoir fait ses révérences à plusieurs mètres de distance, celui-ci, avec le plus grand respect, informe Sa Grandeur quel travail a été accompli le jour précédent, quels nègres ont déserté, sont morts, sont tombés malades, se sont rétablis, furent achetés, ou naquirent, et par-dessus tout lesquels d’entre eux ont négligé leur travail, ont feint la maladie, étaient saouls, ou absents etc. Ceux-ci sont généralement présentés, tout en étant maintenus par les Bastias ou conducteurs de nègres, et instantanément attachés aux poutres de la véranda, ou un arbre, sans même être écoutés. Le fouettage commence, hommes, femmes ou enfants, sans exception, sur leurs corps nus, par de longs fouets de chanvre qui coupent à chaque coup, et craquent comme un pistolet ; pendant ce temps ils répètent alternativement Dankee Massera, Merci Maître ; mais alors qu’il fait des allées et venues avec son contremaître, feignant un peu de ne pas entendre leurs cris, jusqu’à ce qu’ils soient suffisamment lacérés, ils sont alors immédiatement détachés, et on leur ordonne de retourner au travail, sans même un pansement. Cette cérémonie étant terminée, le Dressy Negro, un chirurgien noir, vient faire son rapport, puis est rejeté d’un juron sonnant. Enfin fait son apparition la matrone surannée avec tous les jeunes enfants nègres de la propriété, desquels elle est gouvernante, et qui sont lavés dans la rivière, ils frappent des mains, et encouragent en cœur, puis ils sont envoyés pour leur petit déjeuner, et le lever se termine avec une courbette basse du contremaître. A présent, Monsieur déambule dans sa tenue du matin qui consiste en une paire de pantalon les plus fins de Hollande, des bas de soie blancs et des pantoufles du Maroc rouges ou jaunes, le col de sa chemise ouverte et rien par-dessus sauf une robe de chambre flottante en Chintz indien le plus fin. Sur sa tête un bonnet de nuit en coton, aussi fin qu’une toile d’araignée et par-dessus un énorme chapeau en castor, afin de cacher son maigre visage du soleil, qui est déjà de la couleur de l’acajou, alors que sa carcasse toute entière ne pèse guère plus que 50 ou 65 kilogrammes, étant en général épuisé par le climat et la débauche, et pour donner une meilleure idée de ce gentilhomme, je le représente pour le lecteur, avec une pipe dans la joue, qui lui tient compagnie quasiment partout, et recevant un verre de vin de Madère et d’eau, de la part d’une esclave quarteronne pour le rafraîchir pendant sa promenade.

Apres s’être promené sur sa propriété ou parfois avoir chevauché un cheval jusqu’à ses champs, afin de voir ses réserves grandissantes, il rentre à environ huit heures. Lorsque s’il sort il s’habille, mais sinon demeure juste comme il est. S’il doit sortir, il change seulement ses pantalons pour mettre une culotte de lin ou de soie, il s’assied et lui tenant un pied après l’autre, comme un cheval allant être ferré, un garçon nègre lui enfile ses bas et ses chaussures dont il ferme la boucle également, et alors qu’un autre le coiffe, lui met sa perruque ou le rase, un troisième l’évente afin de repousser les moucherons ou les moustiques. S’étant désormais déplacé, il met un manteau très fin et un gilet tout blanc, lorsqu’à l’ombre d’une ombrelle portée par un garçon noir, il est conduit à une barge qui l’attend avec 6 ou 8 rames, bien fournie en fruits, vin et eau et tabac par son contremaître, et aussitôt qu’il le voit partir, ce dernier recommence à donner des ordres avec fureur. Mais si ce Nabab doit demeurer sur sa propriété, dans ce cas il reste tel qu’il est, et va prendre son petit déjeuner à 10 heures environ, pour lequel une table est dressée dans le grand hall. Sont offerts du bacon, du bœuf séché, de la volaille ou des pigeons encore chauds car venant d’être sortis du grill, des plantains et cassaves douces, rôties ; du pain, du beurre et du fromage etc., avec lequel il boit une bière de qualité telle que Ale et Porter et un verre de vin de Madère, du Rhin ou de Meuse alors que le contremaître servile s’assoit à l’autre bout de façon à garder une distance respectable, tous les deux étant servis par les esclaves les plus belles qui puissent jamais être choisies et ceci compose le petit déjeuner du pauvre gentilhomme. Apres ceci, il prend un livre, joue aux échecs ou au billard, se distrait avec de la musique jusqu’à ce que la chaleur du jour le force à retourner à son hamac de coton afin d’apprécier sa sieste méridienne dont il ne pourrait se passer, tel un espagnol avec sa siesta, et il se balance dans ce hamac, comme un artiste sur une corde, jusqu’à ce qu’il s’endorme sans lit ou couverture ; et pendant ce temps il est éventé par quelques serviteurs noirs afin de le rafraîchir.

A environ 3 heures, il se réveille grâce à son instinct naturel, après s’être lavé et avoir assouvi ses besoins naturels, il s’assoit pour dîner, accompagné comme pour le petit déjeuner par son Gouverneur Député et des pages noirs, et rien ne manque à ce que l’on peut se permettre, dans une atmosphère occidentale, viandes, volailles, chevreuils, poissons, légumes, fruits, etc., alors que les vins les plus exquis sont souvent gaspillés; après ceci, une tasse de café fort et une liqueur finissent le repas ; à 6h il est encore servi par son contremaître, assisté comme le matin par les conducteurs noirs et prisonniers. Lorsque le fouettage a duré un bon moment et les ordres nécessaires ont été donnés pour le travail du lendemain , l’assemblée est congédiée et la soirée passée avec un punch peu fort, de la sangria, des cartes à jouer et du tabac. Monsieur commence généralement à bailler vers 10 ou 11h, il se retire alors et il est déshabillé par ses pages noirs comme de la suie, il va se coucher, et passe la nuit dans les bras de l’une ou l’autre de ses sultanes noires (puisqu’il conserve toujours un harem), jusqu’à environ 6h du matin lorsqu’il se rend à sa promenade sur sa véranda où sa pipe et son café attendent ses ordres et où avec le soleil levant il commence son tour de distraction comme un petit roi, despotique, absolu et sans contrôle, ce qui ne manque de procurer la plus grande délectation possible à un homme qui sans aucun doute n’est dans son propre pays -c’est-à-dire l’Europe- qu’un rien du tout.

Catégorie : La vie dans la Caraïbe des plantations

Pour citer l'article : Stedman, J. (2013). "La vie d'un planteur du Suriname" in Cruse & Rhiney (Eds.), Caribbean Atlas, http://www.caribbean-atlas.com/fr/thematiques/vagues-de-colonisation-et-de-controle-de-la-caraibe/la-vie-dans-la-caraibe-des-plantations/la-vie-d-un-planteur-du-suriname.html.

Références

Tiré de Narrative of a Five Years Expedition against the Revolted Negroes of Surinam (Récit des cinq années d’expédition contre les nègres révoltés du Surinam) de John Gabriel Stedman. Récemment transcrit à partir du manuscrit original de 1790, édité et avec introduction et notes par Richard et Sally Price. Baltimore: Johns Hopkins University Press. 1988, pp. 363-366. (2e édition, iUniverse, 2010). Présenté ici avec l'aimable autorisation de Richard Price.