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Les femmes Marrons des Antilles

  • Gelien Matthews History Department University of the West Indies, Jamaica

Il me semble essentiel de faire honneur aux historiens qui soulignent la position importante, bien que longtemps ignorée, selon laquelle les esclaves africains ont résistét à esclavage. La résistance esclave a pris de nombreuses formes,  de simples actes quotidiens au marronnage, aux grèves et autres révoltes. Quelques écrivains ont souligné le fait que il y avait bien plus d’hommes que de femmes qui s’enfuyaient des plantations. Cette assertion est vraie, mais elle ne nie pas la place unique qui devrait être réservée aux femmes esclaves dans l’histoire du marronnage antillais.

Le marronnage était une forme de résistance directe à l’esclavage consistant en un départ non autorisé des fonctions serviles. Il fonctionnait à deux niveaux, petit et grand. Le petit marronnage était temporaire et rare, incluant violence et destruction. Il était motivé par le besoin d’être avec les proches ou de faire l’expérience d’une liberté à court terme ou de tester les projets de liberté permanente. Ou alors il avait lieu en réponse à de mauvais traitements tels que les punitions corporelles, le travail excessivement rude ou le viol. Le grand marronnage, quant à lui, visait la désertion permanente des plantations. Il était accompagné de violence et représentait sans doutes la remise en cause la plus réussie face  à l’esclavage puisqu’il signifiait vivre une vie de liberté. S’échapper de l’esclavage, par le petit ou grand marronage, représentait un mépris délibéré pour l’autorité du maître blanc qui limitait la mobilité des esclaves et donnait des ordres pour leur travail. C’était aussi une nuisance pour les plantations coloniales puisque les Marrons avaient fréquemment recours aux raids sur les propriétés afin de faire des réserves pour leurs besoins de base en nourriture, outils, armes et même en femmes. De nombreux historiens sont d’accord pour dire que l’invisibilité pertinente des femmes dans cette forme de résistance si dynamique peut être expliquée par des exigences telles que celle de porter un enfant et l’élever, la peur des représailles ; par ailleurs le refus et/ou l’impossibilité de supporter le terrain hostile des cachettes des réfugiés reléguaient les femmes à la périphérie des activités des Marrons.

En effet, les risques auxquels les hommes et les femmes Marrons étaient confrontés étaient grands. La flagellation, le dur travail dans les ateliers, la pendaison, une nouvelle déportation, la séparation des membres de la famille, l’emprisonnement, le marquage au fer, la potence, le viol, la dislocation des membres étaient quelques-unes des conséquences affreuses qui attendaient l’esclave fugitif qui était capturé vivant. Et pourtant il y avait des femmes esclaves qui défiaient les probabilités et se lançaient dans le marronnage.

A la Barbade par exemple, les femmes esclaves étaient particulièrement connues pour cacher des esclaves en fuite. Ces collaborateurs Marrons procuraient aux esclaves fugitifs de la nourriture, l’abri, des vêtements et des informations. Pour restreindre ces incidents, l’Assemblée de Barbade a promulgué une loi en novembre 1731 qui punissait de 20 coups puis de 39 coups, puis 39 coups et le marquage au fer de la lettre R sur la joue droite pour, les première, deuxième et troisième infractions respectivement.Les femmes esclaves à la Barbade, d’après les recherches de Barry Highman, avaient aussi laissé leur marque dans le petit marronnage, vers la fin du dix-huitième siècle, dépassant légèrement le nombre d’hommes participant à cette forme de résistance à cette époque-là.

Une autre rareté démographique consistait en un témoignage de deux Marrons captifs du groupe Windward de Jamaïque qui attestait qu’en 1733 et 1734-35 la population des femmes Marrons et des enfants ensemble dépassait de loin celle des hommes.

Les femmes esclaves rejoignaient aussi les hommes dans le marronnage maritime. A St John dans les Antilles néerlandaises, l’un des épisodes de marronnage maritime les mieux documentés se passa le 24 mai 1840. Onze esclaves volèrent un bateau et partirent pour l’île britannique voisine des Bermudes où l’esclavage avait été complètement aboli depuis 1838. Trois de ces Marrons maritimes étaient des femmes; Kitty, Polly et Katurah.

Le profil historiographique des femmes esclaves dans le mouvement Marron est renforcé par la liste impressionnante existante qui consiste en ces femmes célèbres telles que Lise la sage-femme, Romaine la Prophétesse, Marie Jeanne, Henrietta Rosette et Zabeth, toutes de St Domingue et Coobah de Jamaïque. Coobah, d’après le journal de son maître, Thomas Thislewood, était une récidiviste. Elle s’est enfuie à huit reprises en 1770 et cinq fois en 1771. La femme Marron exemplaire qui devait dissiper toute question à propos de la ténacité des femmes esclaves à poursuivre une vie de fugitif était Nanny, femme cheftaine des Marrons Windward de Jamaïque. Nanny était douée pour la guérilla qu’elle et sa bande employaient pour éliminer les raids des détachements des militaires Britanniques supérieurs technologiquement qui tentaient continuellement de débusquer les Marrons de leurs positions fortes. D’après la légende, Nanny attrapait aussi les balles soit avec sa main, soit avec son derrière et les relançait vers l’ennemi. La tradition rappelle aussi le chaudron de Nanny, une légende qui renforce son rôle en tant que défenseur militaire des Marrons et éclaire sa compétence d’herboriste. La légende de la graine de citrouille renforce son rôle en tant qu’agricultrice responsable de nourrir la communauté et la garder en vie. Nanny la femme Marron de Jamaïque, était aussi extraordinaire sinon plus que ses homologues, tels que Juan de Bolas, Cuffy, Cudjoe et Accompong.Dans l’ensemble, les femmes vivant dans les camps Marrons étaient vitales à la survie de la communauté. Elles fonctionnaient essentiellement en tant qu’agricultrices s’assurant que les groupes fugitifs avaient assez à manger. Les autres tâches incluaient la reproduction de la population Marron et la résurrection des pratiques culturelles et religieuses africaines au travers de leur rôle de prêtresses et enseignantes de la tradition orale. Les femmes Marrons aidaient aussi les hommes à défendre les camps contre les raids des détachements de militaires blancs.

Une représentation dominante des femmes Marrons qui a injustement marqué leur profil est leur représentation en tant que captives passives prises lors des attaques de plantations que les hommes Marrons conduisaient. Ceci est une interprétation eurocentrique des faits. Le point le plus important qu’il faudrait souligner, cependant, est que le fait de prendre les femmes était l’acte ultime de résistance à l’esclavage. Leur nouvelle vie dans les camps Marrons, même si grandement restreinte par les hommes qui les avaient libérées, était bien meilleure que la vie qu’elles menaient lors de l’esclavage. Les femmes Marrons de la région, même si en petit nombre par rapport aux hommes, méritent leur place dans l'histoire en tant qu’« héroïnes » de la Diaspora africaine pour les multiples façons profondes dont elles ont utilisé le marronnage afin de résister à l’esclavage.


Catégorie : Résistances

Pour citer l'article : Matthews, G. (2013). "Les femmes Marrons des Antilles " in Cruse & Rhiney (Eds.), Caribbean Atlas, http://www.caribbean-atlas.com/fr/thematiques/vagues-de-colonisation-et-de-controle-de-la-caraibe/resistances/les-femmes-marrons-des-antilles.html.

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